Omar Hassan, El Belcantor

Omar Hassan, chanteur lyrique à la voix baryton, vient de donner un concert en direction des bénéficiaires de la CMCAS de Toulouse lors de l’événement organisé au Bazacle le 8 septembre 2023 pour l’ouverture de la Coupe du Monde de Rugby à XV.

À 51 ans, Omar Hassan a connu et connait deux carrières porteuses toutes deux d’une forte exposition publique. Avant d’être le chanteur lyrique reconnu, Omar a vécu une carrière internationale de rugby, a défendu les couleurs de son pays, l’Argentine, mais également les couleurs du Stade Toulousain avec qui il souleva le Bouclier de Brennus et la Coupe d’Europe.

Nous rencontrons Omar en ce cœur d’été avant que le tumulte de la 10ème édition (la seconde organisée en France) de la Coupe du Monde de Rugby à XV ne débute et qu’Omar ne nous offre son récital en prélude du match d’ouverture.

Nous souhaiterions en savoir un peu plus sur vous. Votre trajectoire, peu banale, nous laisse à penser que nous rencontrons aujourd’hui un esprit libre, créatif, en tout point original. L’amour du sud-ouest, de la simplicité de son art de vivre, de sa culture de la bonne chair que vous avez plusieurs fois exprimé, nous invite à imaginer que vous êtes, a priori, très attaché aux « valeurs simples » de la vie.

En effet, l’éducation que m’ont apporté mes parents m’a enseigné des valeurs simples comme celle de l’humilité et du respect.

Je suis un mélange de culture ; fils d’une famille de commerçants, mon grand-père musulman syrien a immigré en Argentine, son eldorado, quittant sa première famille pour venir travailler la terre. Il a refait sa vie avec ma grand-mère, catholique d’origine espagnole, basque et française (Chéraute, village proche de Mauléon-Licharre) avec qui il a eu 3 enfants, dont l’aîné, mon père. Mon nom de famille est un mystère et pourrait simplement provenir du prénom de mon grand-père. J’ai particulièrement gardé cet attachement à la terre et j’ai notamment réalisé des études en agronomie.

Mon histoire avec le rugby et le chant est l’histoire d’éléments déclencheurs en moi, parfois inattendus, mais également de rencontres. En premier, contrairement à quelques idées reçues, ce fut le chant ! Je ne remercierais jamais assez ma prof de musique de l’école primaire (avec qui je corresponds toujours) qui avait remarqué mon goût pour le spectacle et m’avait proposé d’intégrer la chorale. Gamin turbulent, il me fallait canaliser mon énergie débordante qui me poussait à faire des blagues, des imitations mais aussi beaucoup de bêtises et de bagarres.

Côté sport, il y a d’abord eu le foot puis un peu de judo mais c’est un copain qui recrutait pour étoffer son équipe qui m’a embarqué un samedi matin à mon premier entrainement. J’avais 9 ans et je ne connaissais pas le rugby (comme pour le chant, c’était inconnu dans le supermarché familial) mais je n’ai plus quitté ce jeu de contact, de confrontation que j’adore.

C’est donc naturellement que je me retrouve dans cette région, que j’aime vivre dans le Sud-Ouest.

Quel regard portez-vous sur le contexte politico-organisationnel du plus grand événement de ce sport ?

L’organisation de la Coupe du Monde est un événement grandiose et unique. Une telle manifestation d’ampleur mondiale revêt évidemment des tournures politiques et, avec elles, quelques polémiques.

On peut toujours parler des conditions de l’attribution de la Coupe du Monde (CdM), de petits couacs dans l’organisation, de la gêne occasionnée par les affaires autour des Présidences de la FFR et du Comité d’Organisation de la CdM… Mais elle est enfin là ! on va pouvoir enfin se concentrer sur le jeu, on ne va penser qu’au sport et c’est une bonne chose.

C’est une magnifique opportunité pour les amateur·trices de ce sport de profiter de la fête qui s’annonce ; pour ceux qui ne connaissent pas, de découvrir le sport et sa culture. Enfin, nous devons mesurer la chance exceptionnelle que nous avons d’accueillir, coup sur coup, deux évènements majeurs du sport mondial : cette CdM et, l’année prochaine, les Jeux Olympiques. Plus largement, ce sera aussi l’occasion de faire découvrir nos savoir-faire au monde entier qui nous visitera.

Pensez-vous que la fête attendue portera les valeurs fondatrices du jeu auprès de toutes et tous ; portera les valeurs éducatives (cf. « le rugby, l’école de la vie ») auprès des plus jeunes ?

Depuis son avènement en 1995 dans le rugby français, le professionnalisme a beaucoup évolué. Des nostalgiques d’un « rugby d’avant », portant des relations plus sincères, plus saines, sans ce côté commercial, « business », du rugby d’aujourd’hui, pensent peut-être que les toutes les valeurs de ce sport ont disparues. Moi, je pense que certaines valeurs restent ; en tout cas, je veux y croire ! Toujours !!! Ne pas perdre espoir.

Je me prête à l’exercice de la critique : la volonté de Communication autour de cet évènement a pris des dimensions qui échappent peut-être à l’essence même de ce jeu ; qu’il s’agisse de la gestion de la billetterie et de la complexité/difficulté à obtenir des places (vente et revente) ou de la volonté avortée de faire intervenir un chœur d’enfants pour entonner les hymnes dans les stades. Ces deux couacs dans les préparatifs ont pu générer beaucoup de frustration et de déception. L’intention a toujours été bonne mais la faisabilité n’avait peut-être pas été parfaitement mesurée.

Pour en revenir à la fête et aux valeurs, je peux témoigner que le rugby m’a personnellement donné des valeurs qui m’ont permis de voyager, de parler plusieurs langues, de découvrir de nombreuses cultures.

J’aime le rugby et, certes, il « est l’école de la vie » ; je n’oublie pas néanmoins que les autres sports, collectifs notamment, portent aussi des valeurs essentielles. Je suis un fervent supporter de toutes les équipes toulousaines, professionnelles comme amatrices.

Je pense que toutes ces valeurs seront portées et que la magie propre du rugby opèrera encore : ce sera une grande fête du mélange de toutes les nations confondues, sans aucune animosité.

Enfin, France 24 a beaucoup travaillé avec les villes hôtes pour faire valoir deux qualités essentielles intrinsèque à la France : Accueillir et Organiser. La lumière sera mise sur le terroir des régions d’accueil et les ambassadeurs, tel que moi pour Toulouse, œuvrent et œuvreront en ce sens. Nul doute pour moi que ce sera un succès. Pour que la fête soit complète, je nourris l’espoir d’une finale France – Argentine !

Quel sentiment vous anime à la vue de l’importance médiatique grandissante des exploits sportifs des féminines et des jeunes ?

À l’image du rôle de la femme dans la société, le sport féminin lutte avec quelques succès (et c’est très bien !) pour prendre la place qu’il mérite. La route est encore longue mais les revendications Certains sont tentés de comparer les sports féminin et masculin, leur niveau d’excellence ; je pense qu’ils se trompent car le sport féminin est une autre forme du jeu. Toutefois, l’émotion procurée, le spectacle est tout aussi intense.

Je suis particulièrement impressionné, admiratif, ému par les sportif·ves handi qui réalisent des exploits formidables dans toutes les disciplines et qui n’ont pas toujours le suivi, la couverture médiatique, dont bénéficient les valides (cf JO handi après les JO valides). Le sport français progresse largement dans ce domaine et c’est une très bonne chose.

Au-delà du niveau exceptionnel de performance affiché durant leur Coupe du Monde, les jeunes rugbymen français ont montré une qualité nouvelle en assumant parfaitement leur statut de favori. Le sélectionneur de l’équipe de France a et aura dans l’avenir la difficulté de faire des choix tant le vivier est riche et la complémentarité entre les joueurs est forte.

Nous avons de la chance d’avoir un tel niveau sportif en termes d’organisation et de résultats (toutes disciplines confondues). Je dis souvent « nous » car je me sens un peu français même si je ne suis pas autant râleur qu’eux !

Pour conclure sur la « page rugby » de votre carrière et de notre entrevue.
Souhaiteriez-vous partager avec nos lecteurs une anecdote de vestiaire ou de salon sur votre vie de joueur, d’entraineur ou de consultant ; un témoignage de ce qui, pour vous, incarne votre philosophie quant à ce jeu/ce sport ?

À mon arrivée au FC Auch en décembre 1998, je ne parlais pas un mot de français et m’exprimait davantage en espagnol et en anglais avec ceux qui pouvaient. Une semaine après avoir posé mes valises, j’étais déjà sur le pré avec la ferme intention de faire bonne impression à mes nouveaux coéquipiers et mon nouveau public.

Patatras ! Première mêlée, premier effondrement et première sanction… l’arbitre venait de me pénaliser et j’étais blessé dans mon amour-propre ; agacé, vexé, je lui glissais alors quelques doux mots en espagnol… C’est alors que mon ami et capitaine, Jean-Baptiste Rué, après avoir était entretenu à mon sujet par mon bourreau s’est vu infliger un carton jaune pour irrespect et hilarité. Le juge des faits et gardien des règles venait de lui conseiller de me calmer car il comprenait très bien l’anglais ! Polyglotte, le referee !!!

Vous vous êtes reconverti dans le champ lyrique suite à la rencontre de vos performances vocales de 3e mi-temps et l’écoute attentive et intéressée de professionnels du chant. Comme déjà dit, l’enchaînement de ces deux carrières est peu commun. Le rugby, classifié comme sport de combat, a fortiori quand on est « un gros », n’appelle pas immédiatement la notion de subtilité. Initialement pratique aristocratique britannique, le rugby est devenu, dès le milieu du 20e siècle, le sport populaire du sud-ouest puis de la France entière. A l’inverse, le chant lyrique semble destiné à un microcosme de spécialistes adeptes du raffinement.

Dès lors, les notions d’audace, d’envie et de plaisir doivent certainement concourir à votre trajectoire à vos choix. Comment résumeriez-vous ce qui pour beaucoup pourrait paraître un parcours paradoxal ?

Rien de paradoxal… Comment s’est passé votre reconversion me demande-t-on souvent ? Pas de reconversion mais une continuation… L’éveil à la musique et la passion du chant ont précédé mon amour du rugby et ne m’ont plus quitté même si ma vie a rapidement pris un tournent particulier dans le sport.

Les notions de compromis et d’engagement mais évidemment aussi de plaisir ont fait que je n’ai jamais abandonné mes copains sur le pré mais je n’ai jamais, non plus, oublié mon premier émoi avec le chant. J’allais à tous les entrainements et j’ai toujours respecté mon engagement auprès de mes coéquipiers ; j’ai toujours détesté les passe-droits de ceux, souvent les plus doués, y compris que l’on suppliait de jouer sans participer assidument aux préparations. J’inculque à mes enfants la notion de finir ce que l’on commence. Rapidement intégré dans les équipes de province puis nationales, le temps m’a donc manqué pour assouvir mes autres envies : chanter, faire du théâtre, être dans un groupe folklorique du nord-ouest argentin. Toujours là, en filigrane, je continuais de chanter de faire des imitations, de réciter des poèmes.

Plus tard, ma voix a mué et mes copains sont devenus mon premier public me réclamant « Funiculì-Funiculà » de Pavarotti intimement liés au clip vidéo vantant les exploits napolitains de Diego Maradona ou encore « New-York, New-York » de mon crooner adoré, Franck Sinatra.

A mon arrivée en France, des initiés, des professeurs me disaient que j’avais un beau timbre de voix, une voix naturelle, saine ; ils me conseillaient de prendre des cours de chants et de continuer dans le registre de l’opéra.

J’ai commencé à prendre des cours de chant alors que j’étais joueur professionnel car, au début, je chantais par plaisir sans connaissance musicale, à part des notions de la musique chorales apprises lors de mon passage dans les chœurs universitaires de ma province d’origine, Tucumán. Sans solfège, ma frustration était grande de ne pouvoir ni lire ni jouer la musique.

La rencontre avec mon premier professeur de chant, Jean-François Gardeil, a été un déclic. Lui aussi amateur de rugby, nous partagions deux passions et nous sommes devenus amis en même temps qu’il me guidait dans mon apprentissage et qu’il m’intégrait dans ses productions et groupes.

En arrivant à Toulouse, mon apprentissage s’est poursuivi par le Conservatoire de Chant où j’ai appris à travailler en autonomie ; un joueur de rugby professionnel est peut-être trop pris en charge et ne développe pas forcément cette compétence de s’organiser.

Dès que ma carrière de joueur s’est arrêtée, il était naturel que le chant prenne plus de place dans ma vie. Je pars de loin en comparaison de ceux qui ont débuté dès leur plus jeune âge mais je compense par beaucoup de travail notamment pour comprendre ce milieu.

Mon expérience me pousse à intervenir volontiers auprès des enfants pour des projets culturels ou sportifs, par le rugby, car on sème sans savoir ce que l’on va récolter. Je suis intervenu à l’école de mes enfants, pour faire découvrir aux plus jeunes le récital, le chant lyrique, l’écoute de la vibration naturelle (sans micro) de la voix qu’ils n’ont peut-être pas l’habitude d’entendre et le ressenti des choses qui passent ainsi. Cet attachement est lié à ma propre histoire ; au fait qu’on ne sait pas ce que ces expériences et souvenirs créés éveillent et éveilleront en eux.

L’affiche de votre récital à susciter quelques interrogations au sein de notre comité éditorial au moment de construire la campagne de communication visant à la promotion de notre soirée du 8 septembre au Bazacle. Certains n’étaient pas sûrs que le message serait bien clair concernant le récital puisque l’on vous y voit à moitié vêtu comme un rugbyman (short, crampons) et que vous tenez une tasse à café à la main.

En termes de communication, vous jouez donc sur les 3 tableaux le rugby, le chant lyrique (veste queue de pie) et l’humour.

Votre intention est-elle de réunir les 2 publics (amateur.trices de rugby et amateur.trices de chant lyrique)  ?

Si, c’est le cas, n’avez-vous pas peur que ce grand écart effraye et que vous vous coupiez de tou.tes ?

Un peu de psychanalyse de comptoir : Aujourd’hui, vous sentez-vous plutôt rugbyman, plutôt baryton ou pleinement les deux ?

Pleinement les deux. En fait, je ne me plus la question ; c’est tellement naturel….

En ce qui concerne la reconnaissance, pour certains au moment de mon implication plus sérieuse dans le chant, j’étais le rugbyman chanteur, une sorte de femme à barbe dans les foires. N’ayant pu faire mes preuves dans des concours car j’étais trop vieux (37ans), j’ai dû travailler avec humilité et faire petit à petit mes preuves sur un long chemin dans des petits rôles (3mins sur scène). Mon objectif était d’être sur scène et, donc, cela me convenait.
Ensuite, la question du contenu est rapidement intervenue : j’ai toujours voulu exprimer quelque chose qui me correspond, qui me plait ; je ne veux pas être seulement interprète.
Pour mon premier spectacle, « Café Tango », je voulais surtout chanter dans ma langue maternelle pour exprimer ce que je voulais exprimer sans entrave d’idiome. Pour autant, je ne suis pas exclusivement un chanteur de tango, ni même un chanteur uniquement d’opéra. Les projets qui sortent de l’ordinaire m’attirent. C’est ainsi qu’est né le second spectacle que je vous ai présenté en début de mois, « Belcantor ! », mélangeant humour et poésie au chant. Ce spectacle très personnel, écrit par Patrick Jourdain, un ami qui me connait par cœur, est aussi un contre-pied pour affirmer que je ne suis pas qu’une « belle voix » mais un artiste complet.

Je fais des reprises mais j’ai vraiment envie d’exprimer ce que je suis et que l’on écrive pour moi.

Aujourd’hui, parmi mes copains du milieu lyrique qui ne connaissent rien au rugby, certains, spectateurs de quelques engouements qui leur sont incompréhensibles lords de nos tournées dans le sud-ouest, ont fait des recherches pour savoir qui j’étais et ont découvert mon passé de rugbyman. C’est une petite fierté que mes collègues artistes soient interpellés à mon sujet par des personnes qui les interrogent : « Vous le connaissez ??? » en référence à ma vie de sportif. A l’inverse, pour certains de mes copains, je ne suis pas un chanteur lyrique.

Moi, je ne me pose jamais la question car quand je suis en production, comme que quand je suis dans le rugby (intervenant), je suis à 100% dans ce que je fais. Pour moi, c’est naturel ; j’ai toujours cultivé ces deux choses à la fois ; une troisième même… l’agriculture et l’amour des plantes.

Mon conseil aux jeunes : Cultivez la curiosité car cela permet d’avancer, de savoir comment fonctionne les choses, de se poser les bonnes questions…

Un second conseil : Profitez ! Ne mettez pas toujours la barre trop haute, je l’ai souvent trop fait lors de ma carrière de rugbyman. Sachez apprécier autre chose que la perfection qui n’est qu’un objectif. Ne négligez pas l’émotion, y compris celle que vous pouvez donner.

Ma méthode rejoint ma philosophie : S’entourer de gens talentueux mais surtout avec qui l’on partage les mêmes valeurs, dont on apprécie les qualités humaines. Réunir les forces collectives autour d’un travail d’équipe où chacun donne le meilleur pour concourir à la réussite d’un spectacle, de l’objectif.

Merci Omar pour cet échange qui nous a permis de mieux connaitre celui qui a ouvert avec passion notre évènement de rentrée sportive.

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